En forme de Loire (1990-2000...)

Lire des extraits : Clés et ébauches de clés (1999)

BARQUE AUX COULEURS DE GIBOULÉE *

Mon tour venu d’être emporté
Ma main cueille le glissement
Du fleuve contre la paume Le fruit
Résiste à l’aveu du secret
Ancrés mobiles en un croisement d’éphémères
Le bois racle le courant L’étrave vibre
L’esprit tourbillonne et la belle affaire
Que d’avoir le cœur gaucher

Je suis le va-et-vient d’une mèche sur ton front
Innocence désir face à face
Feux de regards fleurets croisés en garde
De quel sens faut-il se tourner
Je reviens à moi comme échappé d’exil
Je te rêve librement rivé
À l’aviron que tu trévires
Qui s’enfuit soudain d’une aile parallèle
Le temps d’un plongeon de la tête
Ou bien est-ce moi dont se profile
Le mystère l’appât qui t’attire
Sous la ligne de flottaison

La surface se ride L’air est hachuré
Strié l’eau mouchetée
Nos pieds reposent en cet espace
Creux soustrait d’un autre monde
Et qu’il nous faut ajouter au nôtre
Pour pouvoir y vivre
Mais le visible est œuvre morte
L’empreinte liquide passagère
La limite opaque le fond aveugle
Le vent apporte l’orage l’emporte Une rafale
N’assèche pas les larmes primitives

À la sueur dont s’embuent ton front
Tes tempes et la base de ton cou
Se mêlent les gouttes pures de l’averse franchie
Et l’amertume de celles qu’arrache
Le vent présent au fil des rames
Au défi de la simplicité des figures
Qu’on trace avec la règle et le compas
Les courbes qu’épouse le rivage sont comme
Celles de ton corps et celles
De notre navigation
Des formes qu’habite le désir
Au bout de l’essieu de tes bras
Dont tes poignets sont le cardan
Pivotent les angles droits de l’utopie
Je lis dans les lignes de ton torse
Des épures d’allégorie Passions
Cavernes mort convoitise sommeil
S’y moulent L’envie la peur y glissent
Inscrivant la fluctuation des mythes
Au creux des flancs et des avernes
J’y poursuis à contre-courant
Les étreintes et prises musculeuses
Nerfs contrenerfs dont se combattent haletant
Des lapithes et des centaures

Au retour de l’éblouissement
Nous avançons sur un lit d’obsidiennes
De potentilles d’opales d’asters et de jaspes
Qui se scindent séparent affrontent
Se heurtent succèdent et se fondent
L’argent rebondissant pique perce la pupille
Dont la joie tire les larmes au clair
C’est maintenant mon regard qui plonge
Sur les nœuds de ta nuque et les cordes
De tes épaules
Par où les racines de l’esprit
Vont prendre sol dans le cœur
Impatience d’aubes où germent les pensées

Une pale est resté levée
Comme un chat devant l’insolite prend le change
Et son échine va se hérisser
Sous la menace de l’inconnu
Notre erre aussi hésite s’arrondit
Laisse dériver celle de tes yeux
Vers un au-delà de grèves bosquets nuages
Rêves d’anabase à l’Inde imaginaire
Mais terre mère quel retour natal
Quelle course chimère d’ors et d’épices vaudrait
De renoncer à ce cours stable
D’herbe d’écume de sable ouverts

Douce lisse fade vert brun presque luisante
Amère s’offre l’ourle tiède de la rive
Le ciel s’est déchiré comme
Sous l’effort un muscle trop tendu
Dans le silence encore assombri deux
Trois feuilles s’épuisent meurent
De nous frapper frôler en spirale
L’attaque d’une mouette à la crête d’un remous a
Dessiné le tilde muet brisé d’un violoncelle
Et nous qu’est-ce qui nous menace sinon
De sombrer faute de vigilance
Cerveaux pendules cœurs endormis dans
L’indifférence des jours et la paresse
Des ondes plates taciturnes
Hélice engloutie le temps perdu du flottement
Vienne pour le réveil
Une poignée de grêle au visage
Plutôt la glace que la nuit

Comme d’ombre d’océan d’enfer ou
De l’implosion du souvenir surgissent
Étincelle dans un entre-deux d’images et de mondes
Divinité monstre fantôme
Ton buste redressé jaillit contre le soleil
Qui nimbe d’électrons précieux
Chaque grain de ses contours
Une course plus arrivée
Nous propulse contre le couchant
En un balancement de carène
Pour la flottation de paroles à venir charpente
Entre les rives assemblées de nos chemins de bois
Chevilles planches traverses au long cours
À l’épiphanie de l’oubli des limites

* Composé au début des années 1980, publié sur ce site en 2008. Edité ultérieurement dans le recueil Ebénisteries, éd Mélibée, 2013, pp. 61-65.
Mentions légalesContact
© 2008-2025 • Olivier Bardet